Prendre en compte les signaux d'alarme d'un adolescent

Texte à l'usage de professionnels en position éducative, d'enseignement ou d'animation de jeunes.
Un jeune qui ne semblait pas poser de problème particulier jusqu'ici attire notre attention d'une façon ou d'une autre : changement de comportement, repli, isolement, vêtements sombres ou agitation inhabituelle, irritabilité, colères. Parfois encore, baisse de son assiduité scolaire, de ses résultats, de sa participation. Usage de substances psychoactives, légales ou non. Fatiguabilité, baisse de concentration...
La liste est infinie.
Les signes nous parviennent parfois de façon indirecte, des copains s'inquiétant et venant nous en parler.
Peut-être traverse-t-il une période difficile, une souffrance transitoire, qu'elle soit d'origine scolaire, familiale, relationnelle amicale ou amoureuse, qu'elle revèle l'angoisse face à la mort suite au décès d'un proche ou à un problème de santé réel ou supposé...
Un adolescent en souffrance va rarement choisir en priorité la voie d'une demande verbale d'écoute et d'aide auprès d'un adulte. Il aura recours à des signes comportementaux.
Il est parfois conscient qu'il va mal et qu'il émet des signaux (« Ca doit bien se voir... »). Il attend alors de voir si quelqu'un y est attentif ou si tout le monde s'en moque, ce qui aggrave son état.
Mais parfois, il ne pense pas émettre des signaux, voire même il s'applique à ne rien laisser paraître de sa souffrance.
Dans les deux cas, ne rien faire, attendre une manifestation plus grave et incontournable ou que vienne enfin une demande verbale serait une erreur et ouvre le risque de l'aggravation.
Alors, quel est le rôle de l'adulte proche de ce jeune ?
On se dit « Au nom de quoi irai-je lui parler ? Il ne m'a rien demandé ».
Le principe, au contraire, est de traiter les signaux comportementaux comme des messages émis que l'on a reçus.
On peut résumer la démarche méthodologique ainsi :
1. Avoir ses « paraboles de réception » ouvertes, c'est-à-dire être attentifs à ce que les jeunes nous laissent voir ou percevoir.
2. Si on remarque ce qui pourrait être un signal d'alarme ou d'appel, le traiter comme un message codé, à déchiffrer, mais que l'on a cependant reçu venant de cet adolescent. Donc accuser réception du message. L'adulte utilise alors un canal de communication différent, verbal, directement en face à face avec le jeune. « J'ai vu ou constaté ceci ou cela venant de toi. Je me demande ce que cela veut dire »...
3. On propose donc un dialogue. « Ce que je constate ne me laisse pas indifférent. Je ne voudrais pas passer à côté de quelque chose d'important pour toi en ce moment. Si tu veux, on peut parler tous les deux un instant. ».
4. S'il présente la moindre réticence ou hésitation, ne pas s'imposer. Pas de « forceps » à problèmes. Il ne doit pas se sentir contraint de parler à l'adulte bienveillant qui se propose... Adresser une plainte à l'adulte est évité au maximum car le processus adolescent veut que l'on s'efforce de se passer de plus en plus de l'aide de l'adulte. Et toute plainte formulée peut être vécue comme une position infantile.
On doit alors orienter le dialogue sur 2 points :
a. Parler à une personne bienveillante de quelque chose que l'on vit douloureusement , c'est une démarche responsable et adulte et non pas réductible à une démarche infantile dont tout adolescent essaye de se démarquer : « Allo, Maman, bobo ! ».
b Poser la question : « si quelque chose ne va pas dans ta vie, as-tu quelqu'un avec qui tu peux en parler ? ». Parfois il constate qu'il n'a personne. C'est souvent là qu'il pleure.
S'il nomme un ou des amis adolescents, ne pas dévalorsier ce point d'appui, au contraire. Mais dire que, de même qu'on marche sur deux pieds, à son âge, il faut savoir s'appuyer sur le ou les copains mais aussi savoir compter sur un adulte. Et évoquer d'autres adultes à qui il pourrait parler de lui au besoin.
5. Préalables et confidentialité. Si il pose un préalable avant de parler d'un problème tel que « jurez moi d'abord que vous n'en parlerez à personne », on ne peut pas s'engager ainsi. Oui, ce dialogue est confidentiel mais certaines circonstances obligent parfois à parler avec quelqu'un d'autre. On peut s'engager alors ainsi : partager avec quelqu'un d'autre sera toujours dans le souci de son intérêt et non pour lui nuire davantage.
Si on croit devoir le faire, on le lui dira clairement en disant avec qui il semble nécessaire de parler, jamais à son insu.
Lui dire qu'il peut nous faire confiance pour ne pas faire mauvais usage de ses propos et que s'il ne nous fait pas cette confiance, il est compréhensible qu'il se taise. Alors, en général, il parle.
6. Le dialogue peut se dérouler. Ne pas se laisser paralyser par la question « mais qu'est-ce que je vais lui dire ? ». D'abord, on écoute. Au besoin on demande telle précision. En retour, on ne juge pas, on n'interprète pas. On peut reformuler pour dire avec ses propres mots ce qu'on a retenu ou compris. On indique, si c'est le cas, qu'on mesure combien il peut se sentir mal, en difficulté ou en souffrance.
7. Cette écoute bienveillante et compréhensive ne dispense pas l'adulte de rappeler au besoin les limites.
Limite en termes de dangers courus, de santé physique et mentale
Limites sociales en ce qui concerne la tolérance des groupes d'appartenance avec tous les risques d'exclusion et de rejet
Limites relatives aux transgressions des règles et des lois
7 Bis. Il faut y rajouter la prise en compte des limites personnelles de l'adulte qui écoute.
Limites en temps et en disponibilité. Le dialogue ne peut durer indéfiniment. On proposera d'autres moments de disponibilité pour poursuivre, avec leurs propres repérages et limites.
Limites en tolérance personnelle. Certaines situations déversées inopinément peuvent bousculer et perturber celui qui les reçoit. Il faut être capable soi-même de ne pas ignorer ce type de limite, faute de quoi on risque de devenir brutalement rejetant de ce jeune.
Limite en compétence. Lorsqu'on est pas travailleur social ni « psy » ni juriste ou autre alors qu'une part de l'évaluation et des chemins à suivre supposent une de ces compétences particulières, il faut le dire. Toujours rappeler sa place professionnelle et sociale et ne pas accepter d'en prendre une autre.
8. Si l'adulte qui écoute est un professionnel non parent de ce jeune (cas pris ici par hypothèse), il faudra toujours poser la question des parents. Que savent-ils de la difficulté particulière traversée en ce moment ? A-t-il pu en parler avec eux ou l'un d'eux ? Le souhaite-t-il ?
Si le jeune est réticent pour toutes raisons classiques : honte, crainte de leur désapprobation, sentiment qu' « ils ne comprendront rien », « ils s'en fichent... », peur de leur rajouter des soucis alors qu'ils en ont déjà... , lui dire notre certitude qu'il irait mieux s'il se savait compris et soutenu par ses parents. Hormis certaines situations, il faut envisager avec lui qu'ils puissent être au courant de la difficulté que traverse leur adolescent. Lui proposer qu'il tente de leur parler. Lui proposer ensuite, s'il n'y parvient pas, de les rencontrer pour leur parler. La plupart du temps, il parviendra lui même à le faire et sera rassuré et réconforté de leur réaction.
9. Suites... On proposera la possibilité d'avoir d'autres moments d'échanges. Toujours bien les baliser en lieux temps et heures. Parfois cet échange suivi de l'assurance qu'il pourrait se renouveler suffit à ce jeune et il ne demandera plus.
- Orienter vers d'autres interlocuteurs ? Si on pense que, par exemple, rencontrer un « psy » est souhaitable, il faut le lui dire. Mais, si on conseille la rencontre avec quelqu'un d'autre, cela peut être interprété comme un rejet : « Va te faire écouter ailleurs ». Il faut donc penser à dire que cela ne signifie pas la fin du dialogue engagé qui pourra toujours se poursuivre, et insister sur nos arguments d'orientation.
- Et l'adulte doit-il, ensuite, se concerter avec d'autres ? C'est au cas par cas. Si on fait partie d'une équipe, il est logique de partager ce qui est utile sans pour autant trahir les points les plus confidentiels. L'analyse de la situation et les suites à donner en seront améliorées. On évitera de répandre les informations vers des personnes non concernées. C'est la « concertation intelligente ».
10 Et si...Si malgré nos efforts bienveillants l'adolescent ne se décide pas à engager le dialogue, est-ce à dire qu'on a perdu son temps ? Ce serait une conclusion hâtive. D'une part, il peut comme on le lui aura suggéré, parler avec quelqu'un d'autre. D'autre part, notre ouverture aura changé sa position : il pouvait se croire en souffrance à l'insu de tous, sans intérêt pour quiconque et voilà qu'il découvre qu'il a de l'intérêt pour quelqu'un et qu'une voie relationnelle serait désormais possible...
Enfin, n'oublions pas que ce qui a attiré notre attention ne signifie pas forcément que cet adolescent va mal.
On n'a pas à se culpabiliser de ne pas avoir la clé pour résoudre tous les problèmes. Certes, on aura examiné les pistes pour améliorer la situation si des facteurs extérieurs entrent en jeu dans le problème. Au besoin, on agira (faire cesser un harcèlement, une agression sexuelle...). Mais on n'est pas tout-puissant dans tous les domaines. Le plus important est qu'un adolescent en souffrance qui se retrouvait seul à y faire face ait été rejoint, écouté et compris.
Cette démarche est généralement très facilitatrice pour aider un adolescent à dépasser une crise conjoncturelle. En revanche, même s'il est toujours conseillé de la suivre, elle ne permettra jamais à elle seule de traiter des troubles structurels.