Perte du conjoint dans un couple parental, quelques particularités du deuil chez l'enfant et l'adolescent.
Parties présentées par le Dr Michel Damade.

Perte du conjoint
Le conjoint, la « chair de ma chair » comme dit la Bible dans la Genèse, ne peut mourir sans un véritable traumatisme pour le survivant. Plus qu'une perte, c'est un arrachement, une brèche, l'épreuve que l'on ne voulait pas connaître. Combien de jeunes couples ne se sont-ils pas dit en imaginant un instant cet inimaginable : « Nous mourrons ensemble ! ».
Avec la durée de vie du couple, les tensions et conflits qui n'ont pas manqué, ne suppriment pas la violence de la perte du conjoint qui se renforce alors de la culpabilité .
Je veux surtout évoquer ici la perte du conjoint dans le contexte d'une famille avec enfants et/ou adolescents. Le conjoint survivant est dès lors concerné par deux pertes : celle du conjoint qui perd le compagnon/compagne de sa vie et celle du parent qui doit faire face à deux questions de la situation nouvelle : comment apprendre à être désormais parent solo (partage des tâches devenu impossible, comment se réorganiser pour l'école, les trajets, les repas, les loisirs...) et faire face à la perte éprouvée par le ou les enfants : comment atténuer leur peine, comment ne pas leur faire subir la mienne...
Traverser cette double épreuve est parfois difficile à assumer.
Certains vont tenter de colmater leur souffrance personnelle, ne pas lui donner droit de séjour au profit de toute l'attention apportée à l'enfant ou aux enfants. Ceux-ci, à un moment ou un autre, ne sont pas dupes et vont mettre de l'énergie à protéger le parent survivant, cachant leur peine à ses yeux. Les apparences que « tout se passe plutôt bien » ne font que cacher les souffrances profondes occultées par chacun. Et, avec le temps, on peut vérifier que « se sacrifier pour ses enfants » et « tout leur donner sans compter » peut finir par révéler un coût très lourd. Les relations parent-enfant se dégradent : l'enfant est dans l'impossibilité de s'acquitter de cette dette ni s'affranchir de cette relation écrasante, ceci se réalisant parfois de façon différée en cours d'adolescence par divers types de conduites de risque.
D'autres, accablés par leur deuil, savent avoir du mal à répondre correctement aux besoins des enfants. Dans les meilleurs cas ils chercheront à faire intervenir des aidants divers : grands-parents, amis, thérapeutes... Mais parfois les réactions des enfants ou ados, la simple expression de leurs besoins fondamentaux sont reçus comme insoutenables, persécutifs. Consciemment ou pas, certains attendent alors de leur enfant une attitude aidante, soignante, protectrice, établissant ainsi une inversion des places parent-enfant. Ici encore on peut observer des développements de deuils complexes imposant des actions thérapeutiques multiples dans la durée.
Les besoins les plus fondamentaux d'un parent ayant perdu son conjoint sont donc de trouver des espaces de soutien et d'aide sur les divers plans : les aides matérielles et organisationnelles et les aides psychologiques pour lui-même en tant que personne et pour le parent qu'il est d'enfants endeuillés
Spécificités du deuil chez les enfants et adolescents
A tout âge de la vie, et notamment aux différents moments-clefs du développement, l’angoisse de la mort peut apparaître. Chez le nourrisson, déjà, la non-présence de la mère aux moments attendus est source d’angoisse de ce tout-petit qui, en effet, sans la mère, est exposé à la mort.
Pour autant, cette angoisse n’est pas une expérience de la mort réelle d’un parent, d’un proche. L’enfant ne peut se représenter la mort, sauf à tenter diverses expérimentations (jeux, comportements...)
Habité longtemps par la pensée magique, il peut être partagé entre une expérience de l’absence prolongée du disparu dont il « sait » que c’est pour toujours et l’idée que le défunt peut peut-être revenir.
A cet égard, tous les discours des adultes qui pensent aider un enfant en lui disant que le parent est « parti pour un long voyage » ou bien est « au ciel » ne font que l’entraver dans son appropriation de la perte.
Devant cette brèche certains sont étonnamment capables d’instaurer de véritables remparts défensifs : « J’ai pleuré la première nuit, mais je ne pleurerai jamais plus … ». « Pourquoi tu me demandes encore si ça va ? Je vais très bien, c’est tout ! »
Autre point relatif aux enfants : ils sont particulièrement sensibles aux effets de la perte sur le parent survivant (cas de perte du conjoint notamment) et vont tout mettre en œuvre pour le protéger. « Je suis triste mais je dis à Papa que non pour pas qu’il pleure encore plus ».
Ce que l’on dit habituellement de l’ « insouciance » de l’enfant vole souvent en éclats chez l’enfant qui assume la perte d’un proche : il fait alors un « saut maturatif » notable.
L’enfant a conscience qu’il lui arrive quelque chose que ses camarades ne peuvent pas comprendre. Ce peut être un facteur supplémentaire d’isolement.
Un mot sur la place de la culpabilité qui peut apparaître chez l'enfant. « N’aurais-je pu empêcher cette mort ? Appeler les secours plus vite ?». Et, plus fondamentalement, « Si il (le parent) m'a laissé, c'est qu'il pensait que je ne l'aimais pas assez » « Peut-être que ce qui m'arrive, je l'ai mérité... ». En cas de perte d’un frère ou d’une sœur, tout ce qui a pu exister de rivalité fraternelle peut rendre le deuil plus pénible encore avec le sentiment que la perte est venue réaliser un désir profond.
Chez les adolescents, des données supplémentaires sont à prendre en compte :
Un adolescent est déjà aux prises à tous les remaniements psychologiques, physiques et sociaux de l’adolescence dont la gestion est délicate. De nombreux auteurs comme Marcelli soulignent que le parcours de cette importante période de construction qu’est l’adolescence suppose une série de deuils : deuil de la sécurité infantile, deuil de la toute-puissance parentale, etc. La perte brutale d’un proche, d’un parent en particulier, devient un surplus impossible à gérer. Il peut donc enfouir le problème, ne pas le voir, ne pas y penser, être dans le déni qu’il y problème.
On assiste donc volontiers à des deuils différés de plusieurs mois, voire plusieurs années.
Parfois, cette situation nouvelle propulse plus tôt certains adolescents vers une maturité adulte. On en voit s’affronter avec courage à des responsabilités inhabituelles pour leur âge. Attention : cette maturité dans la résolution de problèmes concrets liés à la perte d’un parent ne doit pas faire négliger le fait que la brèche psychique de la perte n’est pas traitée pour autant. Il est donc légitime de leur proposer les deux types d’aides : l’aide dans les démarches et réorganisations concrètes et l’aide d’une écoute bienveillante de ce qui se passe au niveau psycho-affectif.
Autre facteur de complication : la tendance à vouloir se passer des aides et soutiens des parents. « Je gère » est une phrase clef des ados aux parents. En cas de deuil, de perte brutale, l’adolescent aura plus de mal que quiconque à parler de ce qu’il ressent, à s’appuyer sur l’aide d’un adulte. Il risque de rester partagé entre le besoin régressif de tout humain en souffrance et cette conviction qu’il faut gérer seul.
Les adolescents s’appuient surtout sur leur groupe de pairs. Il ne faut pas en négliger le rôle de soutien parfois considérable. On s’inquiètera plutôt des tendances au repli et à l’isolement.
Enfin, la culpabilité est exacerbée si le décès du parent survient en période d’opposition parent-adolescent, a fortiori si elle s’appuie aussi sur une rivalité de l’Oedipe réactivée. Le passage dans le réel des désirs de mort peut être insupportable. Plus exceptionnellement, cette réalisation brutale du désir de voir disparaitre le parent rival peut générer des tentatives de fuite en avant ; « Mon père est mort, ça prouve bien que désormais je ne recevrai jamais plus d’ordre de personne, et je ne permettrai à personne de m’en donner ». Mais les comportements très inquiétants qui peuvent s’ensuivre nous font entrer dans les deuils compliqués. Notre tâche première est d’en faire la prévention.