Le processus adolescent et les enjeux de l’adolescence
L’adolescence, produit d’une triple mutation physique, sociale et psychologique aux multiples enjeux s’accompagne de manifestations que les adultes doivent comprendre et auxquelles ils se doivent d’être attentifs. Les cas de parcours adolescents plus compliqués par des facteurs conjoncturels ou structurels sont évoqués avec les rôles alors requis de la part des adultes.
On associe fréquemment « adolescence » à « mal-être », prises de risques, addictions…
Que penser de ces clichés ? Pourquoi l’adolescence s’associe-t-elle à « problèmes » ? Pourquoi parle-t-on de « crise » de l’adolescence ?
1. Quelques rappels sur les manifestations habituelles de l’adolescence
L’adolescence n’est pas en soi pathologique ou source obligatoire de pathologies.
Mais c’est une période de remaniements importants permettant le passage de l’enfance à l’age adulte. Il se produit une triple mutation :
. physiologique avec la puberté et l’accès au corps adulte
. sociologique
. psychologique.
Or toute période de franchissement de seuil est marquée psychologiquement par des « turbulences », des tensions psychiques, un épisode de « crise ». C’est ainsi qu’on parle dans l’enfance de « crise oedipienne ».
L’adolescent est donc naturellement en situation de tension, aux prises avec de multiples enjeux :
. affranchissement des positions infantiles (ce qui implique des deuils), qui se décline en diverses autres problématiques telles le deuil de la toute-puissance parentale, la découverte de l’ambivalence (alors que l’enfant est manichéen séparant les bons et les méchants), la perte de l’illusion de la réversibilité de la mort…
. découverte du corps génitalisé et des nouveaux rapports à autrui qu’implique cette nouvelle donne ;
. appropriation progressive d’un système de références et de valeurs personnel ;
. affirmation de son identité souvent marquée par doutes et questionnements ;
. projections vers l’avenir et préparation de la prochaine vie adulte ; etc…
Pris dans tout ceci, il ne faut pas s’étonner de voir l’adolescent :
. en proie à des sautes d’humeur, à des doutes (mon développement physique est-il normal ? … suis-je accepté par les autres , vais-je réussir ?…) ;
. tester et chercher à dépasser les limites où il se tenait jusque là (transgressions, risques…)
. présenter un comportement qui oscille entre des positions de repli narcissique et d’ouverture à de nouveaux horizons.
Par delà son affirmation parfois bruyante d’autonomie, il faut se rappeler que l’adolescent a besoin de points d’appuis :
. des pairs (groupes d’amis, « tribus », semblables…)
. des adultes (parents et autres adultes référents) ;
Les amis
C’est de façon volontairement provocatrice, dans une conférence pour parents que je note en premier le besoin des pairs.
J’entends depuis les décennies en consultations pour parents la grande plainte classique : « depuis qu’il passe son temps avec ses copains, il n’y a plus que ça qui compte, il n’est plus le même, etc ». Il me faut cependant insister sur la nécessité impérieuse pour un adolescent d’avoir un ou plusieurs groupes de pairs. Et aujourd’hui, il faut insister sur le fait qu’il y a des amis réels rencontrés quotidiennement au lycée ou dans les activités sociales mais aussi la masse des « pairs » virtuels rencontrés sur les réseaux sociaux.
Le temps imparti ne permet pas d’entrer dans les détails des fonctions utiles de ces liens.
. il faut surtout souligner le côté rassurant d’être admis comme un semblable par les autres lorsqu’on doute de soi, de son intérêt, de son image…
. et les groupes d’appartenance sont comme des laboratoires micro-sociaux pour expérimenter les places sociales que l’on voudrait occuper.
. c’est aussi entre pairs que, de nos jours, se font les premières expériences sexuelles.
. enfin c’est entre pairs que l’adolescent va puiser des références et des valeurs pour se constituer le pool de celles qu’il fera siennes à l’âge adulte. La pression de conformité du groupe est maximale. Mais Internet est venu rajouter un poids considérable dans ce domaine. On sait la place des influenceurs mais on ne mesure pas assez l’effet des algorithmes qui contribuent à ramener les jeunes à des mêmes vues idéologiques, parfois aux mêmes fake-news.
Et ne parlons pas ici des usurpations d’identité et autres pratiques qui mènent certains adolescents vers des pervers sexuels adultes se faisant passer pour jeunes.
Il y a tout un travail éducatif à mener sur les bons et mauvais usages d’Internet.
Les adultes
Autre point d’appui fondamental dans ce long parcours adolescent.
Ils sont de deux sortes : les parents et d’autres adultes référents.
Avec les parents, il y a souvent une ambivalence puisqu’un des enjeux est de les découvrir autrement et de se dégager peu à peu de la dépendance de l’enfance…
Mais de façon générale ils ont besoin des adultes sous deux rubriques :
. besoin de voir des adultes (fiables, repérables…)
. besoin d’être vu par l’adulte.
L’adolescent dans ses doutes d’identité parfois ses doutes existentiels a besoin d’être vu et reconnu par l’adulte. S'il a le sentiment d’être non vu, alors peut se développer le « syndrome de la vitre transparente ». Dans lequel, souvent de façon provocatrice ou maladroite, il se donne à voir.
S’il le fait en transgressant règles et limites, il est en droit d’attendre que l’adulte lui en dise quelque chose. S’il le fait en multipliant les efforts de bonne conduite, il est en droit d’attendre qu’on lui en donne acte et qu’on le félicite.
L’adolescent a besoin de la part de l’adulte du OUI quand c’est oui, et du NON quand c’est non.
Dans cette perspective, on pourra se réapproprier cette définition opérationnelle de l’Interdit : c’est l’occasion d’un dit entre adulte et adolescent à propos d’une limite.
Tout ceci concerne les relations habituelles des adolescents. On est dans l’affectif, le social, l’éducatif, non dans des problèmes psychiatriques.
L’importance des adultes référents de qualité est primordiale.
Ce tableau représente la majorité des adolescents. Si on voulait les représenter en les répartissant dans leur totalité selon une fusée à 3 étages, nous dirions que nous venons de faire quelques rappels sur le premier étage, le plus volumineux.
Mais il convient de ne pas méconnaître ceux des deux autres étages de ma fusée.
2. Les adolescents traversant une difficulté conjoncturelle, voire une souffrance psychique transitoire
Le deuxième étage de ma fusée hypothétique est constitué, en fait, des mêmes à ceci près qu’ils rencontrent conjoncturellement dans ce parcours adolescent parfois hésitant et déstabilisant telle difficulté ou tel obstacle qui peut rendre la poursuite délicate voire donner le sentiment de panne ou d’impasse. Exemple : un conflit ouvert du couple parental, la maladie ou le décès d’un proche, un déménagement familial qui rompt brutalement tous les liens établis avec les pairs, une rupture amoureuse, une maladie ou un accident qui altère l’équilibre de santé…
L’élément déclenchant peut être méconnu des parents ou leur paraître assez insignifiant. Mais pour cet adolescent-là, il y a le sentiment d’être pris dans de gros problèmes, surtout si cela se double d’une incompréhension de ses adultes proches et, parfois pire encore, d’une critique ou d’un rejet de ses pairs.
Comment cela va-t-il se manifester ?
Pour l’essentiel à travers des signes comportementaux : repli, isolement, colères ou sautes d’humeur, modification de l’appétit ou du sommeil, refuge sur les écrans et diminution de la vie sociale. Baisse du rendement scolaire possible. Parfois, consommation croissante de substances psychoactives légales ou illégales…Au contraire d’un ralentissement, certains semblent foncer tête baissée dans une vie trépidante, semée de risques, multipliant les sorties, les errements, les excès de
vitesse et les consommations…
Cet adolescent gagnerait à être compris, soutenu, aidé.
Mais il ne dit pas sa souffrance ou son trouble ; il nous les montre.
Et ce qu’il donne à voir génère plutôt des réprimandes, des mises en garde voire des punitions.
Il faut donc le savoir : un adolescent en souffrance transitoire ne choisit pas de façon prioritaire la voie adulte, mature, d’une demande d’aide verbalisée à des proches.
L’adulte se doit donc de capter ces signes comportementaux, de songer que, peut-être , cela constitue un ensemble de messages d’alarme sur lesquels les seuls rappels à l’ordre n’arrangeront rien.
Alors, il faut « boucler » la boucle de communication, en prenant la parole c’est-à-dire d’une façon adulte. « Je constate ceci ou cela ces derniers temps. Cela ne me laisse pas indifférent. Est-ce quelque chose est compliqué pour toi en ce moment ? Si tu en avais besoin, j’aurais envie de pouvoir t’aider. Mais d’abord, j’aimerais comprendre et t’écouter »
On propose donc un dialogue dans lequel on se met d’abord à l’écoute et en soutien. Ceci n’empêche nullement l’adulte de jouer un rôle classique de rappel des risques et des limites.
Et puis il est toujours risqué de presser un adolescent de parler. Sur certains sujets, ce ne sera pas forcément avec ses parents qu’il s’exprimera. Il convient donc toujours de suggérer d’autres dialogues possibles avec d’autres adultes.
Si on identifie un facteur concret jouant un rôle dans le déclenchement ou l’entretien de cette situation (racket, menaces, harcèlement…) il faut tout mettre en œuvre pour qu’il y soit mis fin.
Dans les cas où il existerait une altération de la santé, un risque suicidaire… on invitera cet adolescent à accepter l’idée de rencontrer un soignant spécialisé, mais en veillant à ne pas lui donner à penser qu’on ne veut plus l’écouter et qu’on passe le problème à quelqu’un d’autre.
Un adolescent en tension psychique conjoncturelle, en souffrance psychique transitoire gagnera toujours à se voir écouté, compris et soutenu.
S'il est ainsi accompagné, en règle, la souffrance conjoncturelle prendra fin.
3. Troubles notoires à l’adolescence liés à des facteurs structurels
Le troisième étage de la fusée, heureusement moins volumineux que les précédents, regroupe des situations qui ne sont pas réductibles à des causes conjoncturelles.
Elles sont structurelles, durables, reposant souvent sur des facteurs de fragilité remontant à l’enfance et qui ont pu passer inaperçus. Ces formes, souvent les plus graves et longues à traiter requièrent généralement des soins spécialisés à mettre en œuvre au plus tôt.
On peut les situer dans tout l’éventail de la psychopathologie :
. problèmes névrotiques (ex : certaines phobies scolaires, les troubles anxieux majeurs…)
. problèmes psychotiques (début d’une schizophrénie par exemple) ;
. problèmes intermédiaires ou limites se manifestant surtout par des troubles répétitifs des conduites, notamment des conduites de risque, des conduites addictives…
Et, ici, on peut dire que les signaux d’alarme peuvent être regardés comme des symptômes.
L’attention et le soutien des parents et autres adultes référents est toujours requise comme dans les cas précédents mais la grande différence est que malgré tous les efforts bienveillants, les troubles ont tendance à s’inscrire dans la longue durée démontrant par là même la nécessité d’un recours aux soins adaptés.
On n’entre pas dans les détails à l’occasion de ce rappel général. Mais lors de débats, s’il y a des questions sur tel ou tel de ces problèmes, il sera possible d’y apporter quelques précisions.