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Michel DAMADE
19/11/2024

Le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement qui le prolonge

Trop longtemps minimisé, le harcèlement scolaire est aujourd'hui de plus en plus pris en compte. Il convient d'en prendre la juste mesure et de restituer à chacun : parent, enseignant, son juste rôle, sans oublier celui des élèves pour soutenir le harcelé et faire cesser les humiliations.
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Les problèmes de harcèlement scolaire sont de plus en plus souvent évoqués dans l’actualité. Autrefois ignorés ou minimisés, traités d’enfantillages, on apprend heureusement à les prendre aujourd’hui plus au sérieux. Le numéro de téléphone national gratuit, le 30 18, qui était destiné au cyberharcèlement est désormais ouvert au harcèlement scolaire.

Plus d’un enfant par classe peut en avoir été victime.

Une enquête menée auprès des élèves révèle que 22% disent avoir été harcelés. Cela commence au premier degré, surtout en CM1 et CM2 et se produit majoritairement au Collège. Si les cas sont moins nombreux au Lycée, il n’en sont pas moins parfois dramatiques.

Il faut cependant s’accorder sur ce qu’on appelle harcèlement :
C’est une action le plus souvent menée par un groupe d’élèves visant à dévaloriser et humilier de façon répétée dans le temps un autre élève.

Les modalités en sont très diverses. Elles se réalisent en présentiel et aujourd’hui se prolongent habituellement de façon virtuelle sur les réseaux sociaux ou au téléphone.
En présentiel :
-  Propos humiliants, mise à l’écart, refus de partager une activité, un jeu ou la table de la cantine.
-  Insultes, menaces
-  Confiscation, vol ou détérioration d’affaires personnelles
-  Bousculades, coups, bagarres
-  Pressions de groupe pour humilier le harcelé, l’obliger à des situations pénibles par exemple en l’enfermant dans les toilettes, en le contraignant  à se dévêtir, à rester au sol…

En virtuel :
-  Prolongement des insultes et menaces
-  Rumeurs sur la supposée vie personnelle et sexuelle du harcelé
-  Diffusion de photos ou de films présentant la victime en position humiliante
-  Diffusion de photos plus ou moins modifiées de la victime dénudée…
-  Le prolongement du harcèlement sous forme virtuelle permet plus facilement d’oser des propos extrêmes poussant par exemple le harcelé à mourir.

Pourquoi ?
Le phénomène de bouc émissaire est vieux comme l’humanité. Il consiste pour un groupe à assurer sa cohésion en désignant en son sein une victime émissaire qui souffrira et/ou sera rejetée pour le bien de tous les autres.
Pour les auteurs de harcèlement, c’est la découverte d’un pouvoir social : savoir provoquer à volonté la mise à l’écart ou la souffrance de quelqu’un.  Il y a une jubilation à constater que l’on a de l’emprise sur une personne.
Elisabeth Piquet parle du « plaisir malsain » éprouvé en obtenant la réaction douloureuse d’autrui.

Par qui ?
Il est habituel de retrouver un meneur entouré d’assistants qui participent au rejet, aux humiliations voire aux violences. Dans le cyberharcèlement, le nombre des assistants qui diffusent de plus en plus les images et propos infâmants va toujours croissant. Ils s’abritent derrière le virtuel, et ce qu’ils croient être l’anonymat et l’impunité.
Et, tout autour, il y a les spectateurs. Leur silence, leur inaction en font, de fait des complices des harceleurs. Parfois tel des spectateurs se dit que c’est ignoble et refuse de se reconnaitre dans les harceleurs. Il se dit cependant que s’il s’oppose ouvertement à la meute des enragés, il risque à son tour de devenir leur victime. Il n’intervient donc pas.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les harceleurs n’ont pas forcément le profil de psychopathes pervers. On est surpris de voir à quel point ils minimisent l’intensité de la souffrance qu’éprouve le harcelé. De fait, souvent, le harceleur, se satisfait du plaisir malsain et répétitif qu’il tire de son pouvoir sur autrui -et sur son groupe- et minimise tout :
-          La souffrance du harcelé
-          La gravité de l’acte, ignorant que c’est un délit
-          Il ne pense pas qu’on pourrait lui confisquer son téléphone et lire ce qu’il contient
-          Il ne pense pas qu’il risque des sanctions : une exclusion de l’établissement, un bannissement des réseaux, des peines judiciaires…

Les harcelés
Ils n’ont pas de profil-type. Certains, solides , équilibrés, sans histoire et sans particularité sont des exemples aux yeux de tous du fait que cela peut arriver à n’importe qui.
Cependant, il n’est pas rare qu’on trouve une particularité (de taille,  de poids, de performance intellectuelle, de sexualité,  etc) qui a attiré l’attention des harceleurs sur leur victime. Ils vont transformer la différence constatée en véritable tare dont on doit faire reproche à son porteur.

De plus,  si la « cible » réagit visiblement et fortement dès les premières vexations pleurs, ou colère…, le fameux plaisir malsain du pouvoir d’agir sur l’autre va confirmer au harceleur qu’il a bien choisi son harcelé.

Celui-ci souffre. Il a honte.

Il est à l’âge où l’intégration au groupe a un effet porteur essentiel et le voici exclu, malmené.
Certains vont jusqu’à penser que c’est leur faute, que sans doute, ils méritent leur sort, qu’ils sont un ado raté.

A l’âge où l’enjeu est de ne plus occuper les positions infantiles, de se convaincre et de convaincre ses parents qu’on n’a plus besoin d’eux (« Je gère ! »), le mouvement spontané n’est pas d’aller vers eux dans la plainte « Allo Maman, bobo ! »…  Et  voilà qui explique que près des 2/3 des harcelés n’en parlent pas à leurs parents.
Exclu de ses pairs, honteux, triste et démuni, le harcelé n’arrive pas à trouver de point d’appui.  A qui oserait-il révéler l’image douloureuse d’exclu sans défense qu’il a de lui-même ? Le risque d’évolution vers une dépression est grand si rien ni personne ne change le cours des choses. Dans la durée, les idées suicidaires viennent représenter la seule issue pour que cela cesse.

Que faire si une situation de harcèlement est supposée ou avérée ?
Cela varie selon la place que l’on occupe.
-  Parents : d’abord, savoir repérer les signaux faibles : modification notable du comportement : tristesse, isolement ou colères inopinées… ; plaintes somatiques : mal au ventre, palpitations, mal de tête… ; baisse du rendement scolaire ; évitement scolaire ; signes plus nettement dépressifs avec pleurs, repli, démotivation…
-  Professionnels du scolaire : attention aussi aux signaux émis par l’élève ;  prise au sérieux des propos rapportés par d’autres élèves à propos de maltraitances subies par l’un ; repérage des gestes hostiles répétés qui se font en classe à l’encontre du harcelé ou dans les couloirs.

L’adulte doit alors ouvertement poser la question à l’intéressé : « je vois qu’il se passe quelque chose de particulier, de difficile peut-être pour toi en ce moment. Je te propose que nous en parlions ouvertement. Si il y a une difficulté, je veux chercher avec toi comment la résoudre. Devant un problème on ne doit pas rester seul. Si tu veux, je suis avec toi… »

Si le jeune finit par décrire des brimades et des vexations, le prendre au sérieux, ne rien minimiser. Mesurer le temps depuis le début du problème. Lui dire qu’il est naturel de souffrir dans de telles conditions. Qu’il n’y a pas à avoir honte. Que ceux qui se comportent ainsi commettent un délit. Que les adultes se doivent de se mobiliser à ses côtés pour que cela cesse…

Il faut à la fois restaurer une image positive de lui-même et lui offrir un soutien.

Certes, il peut et doit y avoir dans l’établissement des actions diverses : pour rappeler aux harceleurs qu’ils sont en train de faire souffrir quelqu’un au-delà peut-être de ce qu’ils imaginent, qu’ils risquent des sanctions s’ils persistent ;  pour aider le groupe plus large y compris des spectateurs inactifs à prendre conscience de la réalité douloureuse ressentie par le harcelé qui n’a pas trouvé d’aide…. Certes, les coupables doivent subir des sanctions. Tout un arsenal existe désormais. Mais on sait bien que tout cela ne suffit pas.

Il ne faut pas se borner à dire au harcelé « N’y pense plus, je m’occupe de tout », il ne faut pas déposséder la victime de ses propres possibilités d’évolution et d’actions. Les thérapies brèves d’Emmanuelle Piquet visent à soutenir le harcelé pour qu’il modifie aussi ses positions face au harcèlement : en n’ayant plus les réactions douloureuses qu’attend le harceleur, en osant traiter les vexations avec détachement, voire avec humour l’effet attendu disparaît. Evidemment cela n’est pas possible s’il s’agit de véritables violences physiques répétitives. Mais il est toujours nécessaire d’aider la victime à restaurer sa propre image.

Et les élèves passifs, jusque-là silencieux peuvent aussi, surtout si une réflexion collective leur a été proposée, se montrer désormais amicaux avec la victime.
Toutes ces attitudes attentives et soutenantes des adultes et des pairs conjointement avec la cessation des hostilités sont l’essentiel de ce qu’il faut faire.

L’intervention d’un « Psy » est-elle nécessaire ? si celui qui a été cible de harcèlement a restauré sa propre image et dispose désormais de soutiens sûrs de la part de camarades, de ses parents et de personnels de l’établissement, ce n’est pas une nécessité. Mais si persistent des signes divers de souffrance psychique, alors il ne faut pas hésiter à lui proposer un accompagnement psychologique par un professionnel compétent.

Et en Prévention ?
L’Education Nationale a développé ces dernières années des actions à plusieurs niveaux, notamment à travers le programme pHARe. Des personnels sont sensibilisés ou formés, des élèves volontaires peuvent aussi être identifiés et formés comme « ambassadeurs » aptes à se rapprocher des victimes de harcèlement et à faciliter le contact avec les adultes-ressources. Des débats et autres activités sont proposés aux élèves sur le sujet. Si l’un des mécanismes de la durée des phénomènes de harcèlement est et a été longtemps le silence, alors la prévention visant à en parler est une évidence.

Certains ont préconisé une sensibilisation dès les Cours Moyens : pas de tabou, pas de silence, pas de honte à avoir. La honte doit être identifiée du côté des harceleurs, non des harcelés. Et la majorité silencieuse sera mieux préparée à ne plus garder le silence.

On a parlé des cours d’empathie. Cette formule m’interroge car on n’apprend pas l’empathie comme un théorème de mathématiques. Mais qu’il y ait des méthodes actives et participatives pour éprouver l’empathie et son manque et prendre ainsi conscience de son importance est une bonne chose pour la prévention d’un phénomène dont les auteurs ne mesurent pas l’effet émotionnel gigantesque qu’ils ont sur leurs victimes.

Et il est bon de rappeler aux parents qui peuvent craindre d’avoir un enfant harcelé qu’ils ont au moins cinq fois plus de probabilités d’avoir un enfant harceleur. Et dans tous les cas, en parler clairement et préventivement est une chose à toujours promouvoir.
 

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